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L’intelligence artificielle : une destruction créatrice… ou créative ?

L'IA générative est un domaine de recherche qui vise à créer des logiciels capables de créer de nouveaux contenus. Le terme "génératif" est utilisé parce que le logiciel crée son propre contenu, plutôt que de simplement manipuler un contenu existant. En utilisant l'intelligence artificielle générative (IAG), les artistes peuvent créer de nouvelles œuvres qui sont uniques et différentes de celles de tout autre artiste. Cela permet un nombre infini de possibilités créatives sans avoir à compter sur des créateurs humains pour créer de nouvelles pièces. Pas encore convaincu ? Pourtant, ce début d'article n'a pas été écrit pas un être humain... mais précisément par une IA générative.


De fait, rares sont les domaines qui échappent à la prégnance de l'intelligence artificielle. Sphère académique, littéraire, artistique ou musicale … Toutes ont vu apparaître ces dernières années des outils de génération de textes, d’images ou de sons. Parmi les IA les plus connues, développées par des acteurs privés ou en open source, on citera Stable Diffusion, Dall-E (OpenIA) et Imagen (Google) pour la génération d’images, GPT-3 (OpenIA) et BERT (Google) pour la génération de textes, ou encore de AudioLM (Google) pour la génération de sons. Ces IA sont de plus en plus accessibles et de plus en plus convaincantes. Leur utilisation est d’une facilité quasi-déconcertante pour le néophyte. Il suffit de renseigner une courte description (prompt) ou de fournir un enregistrement de quelques secondes pour obtenir un résultat final : illustration graphique, chanson, article, discours, ... reprenant exactement les codes du style demandé.


L'être humain se trouve ainsi déchargé d'une grande partie du travail intellectuel ou artistique qui lui incombait autrefois. Or, sur le plan juridique, une œuvre désigne toute création résultant d’une activité intellectuelle ou artistique. Dès lors, s'il suffit d'un simple clic pour esquisser une illustration ou composer un sample musical, reste-t-il encore une place pour les artistes et les intellectuels dans nos sociétés ?


L’IA, simple outil d’aide à la création


Rappelons tout d’abord que l'IA est présente depuis longtemps, à travers des fonctionnalités disponibles au sein de logiciels connus, comme Photoshop et ses options de correction automatique, par exemple. On pense encore au controversé Auto-Tune, qui permet aux artistes d'améliorer artificiellement leur voix, et qui existe depuis les années 90.


Toutefois, le terme d’ « IA générative » n'apparaît qu'en 2013 et se démocratise aussi via des outils gratuits, bien que ceux-ci puissent réserver des surprises. En effet, la qualité des résultats générés par l’IA est largement tributaire de la qualité de ses données d’entraînement. On se souviendra par exemple des watermarks Shutterstock apparaissant systématiquement sur les images générées par Dall-E à ses débuts, qui apprenait à partir d’images scrappées à la volée sur le web, ou encore de Tay, le chatbox de Microsoft tenant des propos racistes sur Twitter. Même en utilisant des modèles soigneusement entraînés sur des données de qualité, les early adopters soulignent la part de travail humain qui subsiste. En amont, il s'agit de maîtriser la rédaction des prompts, ces courtes lignes qui indiquent à l’IA le résultat recherché avec des ajustements nécessaires pour aboutir à un résultat réellement satisfaisant. Ainsi, Dall-E, l’un des gros acteurs de la génération d’images, préfère proposer aux artistes de composer étape par étape, à travers des fonctionnalités enrichies à l’IA, comme l’outpainting ou l’inpainting, mises bout à bout.


L’IA, remplaçant du créateur


Si l’IA reste aujourd’hui au stade d’outil, il devient de moins en moins facile de distinguer une œuvre produite par une IA de celle produite par un être humain. Une expérience menée en 2022 par Tidio montre que dans 87% des cas, nous sommes incapables de différencier les deux, même en étant informés au préalable de l'étendue des capacités des IA.


Des journaux comme le Washington Post ou The Guardian se sont maintes fois prêtés à l’exercice. En 2020, The Guardian publie non pas un article, mais une pièce d’opinion entièrement rédigée par une IA à l'aide de l'algorithme GTP-3. Dans cet article, non seulement l'IA rédige le texte en toute autonomie, mais elle exprime en plus une prise de position et ne se contente pas d'énoncer des faits.


Ce sont justement ces avancées qui posent la question du total remplacement d’un créateur, artiste ou intellectuel, par l’IA. Un exemple marquant : la chanteuse Holly Herndon qui, à travers la création de son jumeau digital, permet à n’importe quel artiste de se réapproprier sa voix. Notons que ce jumeau digital, Holly+, est présentée comme étant une entité strictement distincte de la chanteuse. La chanteuse y voit une opportunité pour les artistes de mieux commercialiser leur œuvre.


La création face à la technologie, un débat historique qui questionne la définition de l'artiste et de ses oeuvres


La question de la disparition des artistes face à l’avènement de la technologique n’a rien de révolutionnaire. Le débat refait surface à chaque nouveau cycle d’innovation, comme ce fût déjà le cas lors de la démocratisation de l’appareil photo ou de la caméra. Selon cette logique, l’IA ne serait que l’outil le plus récent au service de notre production artistique et intellectuelle, un outil dont il apparaît impératif de s’emparer, au moins pour une certaine catégorie d’artistes, tant son utilisation paraît de plus en plus incontournable.


On peut donc plutôt prévoir une explosion de créativité avec des contenus de plus en plus pointus dans les années à venir, plutôt qu’une mort annoncée des artistes. Historiquement, un artiste était reconnu comme tel lorsqu’il était à la fois le concepteur de l’idée et l’artisan qui matérialise cette idée. Or, la technique est aujourd’hui dissociée de l’idéation. L’enjeu tient ainsi non pas à la disparition, mais à la redéfinition de ce qui fait la qualité première d’un artiste, d’un musicien ou d’un journaliste. Il s’agit en réalité de ne pas confondre création et créativité. Si l’IA a cela de particulier qu’elle est apprenante, et peut ainsi imiter à la perfection, cela implique qu’elle dépend d’une base d’apprentissage existante, et qu’elle se limite donc aujourd’hui à recopier des styles préexistants.


L’intelligence artificielle est alors incontestablement créatrice d’œuvres. Elle nous rend plus créatifs en repoussant les limites du possible pour les artistes et les intellectuels. Toutefois, il reste encore du temps avant qu’elle ne puisse se doter d’une intention artistique, cette capacité à ouvrir de nouveaux espaces de pensées et d’expression. Il n’est pas un hasard que l’on parle de prompt engineering en référence à la capacité à optimiser les requêtes formulées à l’IA pour générer une image, et non de processus de création artistique.


Pour autant, rien n’est acquis sur les évolutions et les limites futures de l’IA. Elle est d’ailleurs suffisamment avancée pour susciter des inquiétudes bien fondées quant à ses dérives potentielles : diffusion de fake news de plus en plus difficiles à contrôler avec l’utilisation de deep fake, ou encore accessibilité accrue à des contenus sensibles, comme des contenus pornographiques. Sans aller jusqu’à ces extrêmes, une réflexion sur le droit de la propriété intellectuelle, et de manière plus large, sur le statut de l’IA sur les plans juridique et éthique, se pose inévitablement.


Les œuvres produites par l’IA ne sont pas soumises aux droits d’auteur car elles n’ont pas été créées strictement par un humain. Si cette législation était amenée à évoluer, devrait-on reconnaître un droit de propriété intellectuel au développeur de l’IA, au technicien qui utilise l’IA ou bien à l’initiateur du projet artistique ? Cette question qui est finalement celle de la définition et du statut reconnu à l’artiste et de la pyramide des valeurs dans une société donnée : l’importance accordée à la maîtrise d’un savoir-faire technique, par opposition à la volonté qui anime et donne à l’œuvre une intention.

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