Le 17 octobre dernier, lors de la 66e cérémonie du Ballon d’Or, le français Karim Benzema a remporté la plus noble des récompenses individuelles pour un joueur de foot : être sacré meilleur joueur de la planète. Une récompense inédite puisque l’attaquant français du Real Madrid a reçu le célèbre ballon de 15 kg ainsi qu’un double numérique de son trophée sous forme de NFT. C’est une première dans l’histoire du football et cela confirme l’intérêt grandissant des organisateurs, des clubs et de l’ensemble des parties prenantes de prendre le virage du numérique et de diversifier leurs contenus pour répondre à une demande de plus en plus connectée.
Cette situation s’est accélérée durant la pandémie du COVID-19 où les clubs ont fait face à un manque à gagner de 7 milliards sur l’exercice 2020-2021 et 2021-2022 d’après le dernier rapport de l’UEFA. Un contexte douloureux dans lequel les principaux leviers économiques utilisés par les acteurs du football se sont avérés obsolètes. Des stades vides à la chute pour certains pays des droits TV associés à leurs championnats, le chiffre d’affaires des clubs se sont effondrés, poussant les acteurs du monde du football à s’adapter et saisir les opportunités qu’offre le numérique.
De l’utilisation du métavers à la mise en circulation de « Fan Tokens » ainsi que de nombreux partenariats avec des acteurs du monde digital, le football souvent accusé de conservatisme est en pleine transformation. De quoi susciter de nombreuses interrogations économiques, footballistiques et sociales qui nous amènent à nous intéresser sur la manière dont le public consomme désormais le football.
La gamification, un moyen de répondre aux nouvelles attentes des amateurs de football
Depuis son apparition sur les terres Britanniques au XIXème siècle, le football a connu une croissance exponentielle pour devenir un des sports les plus emblématiques du monde, réputé tant par les émotions qu’il procure aux spectateurs que par la frénésie financière dont on l’accuse. Autrefois associé à la classe populaire, l’anciennement nommé « folk football », le football du peuple en français, s’est diffusé mondialement pour former ce qu’on appelle aujourd’hui le football moderne avec pour objectif premier de divertir et satisfaire un public avide d’émotions. Que serait-ce le football sans les spectateurs réunis lors des matchs de leurs équipes préférées ? C’est justement ce dernier qui a fondé les principes économiques du football moderne. Le football est avant tout un sport d’émotion où chaque moment, chaque évènement forme une histoire, un élément charnière qui crée une connexion entre les joueurs, les spectateurs et les clubs… Et ses émotions constituent le mélange parfait entre l’intérêt économique d’un club et l’intérêt personnel des fans qui veulent être placés au cœur du jeu et vivre une expérience émotionnelle unique et inestimable.
L’engagement des fans est alors la pièce essentielle du « business model » du football moderne et le numérique permet de pousser la barrière entre les spectateurs et les joueurs en offrant des contenus ludiques et immersifs. Cette demande s’est notamment accélérée durant la dernière décennie et de nombreuses initiatives technologiques ont vu le jour pour créer une connexion unique entre les fans et les clubs. Ainsi, la gamification des contenus sportifs à travers le « fantasy football » permet aux utilisateurs une expérience nouvelle. Chaque joueur se voit attribuer un budget pour acheter des joueurs et créer une équipe. Après chaque match de leurs joueurs dans le monde réel des points sont distribués et les fans ayant récoltés le plus de points sont récompensés et reçoivent des cadeaux allant d’un maillot de leurs équipes préférées à des places pour la finale de la Coupe du monde. Ceci permet aux fans de contrôler les joueurs et fidéliser leurs engagements à travers une compétition communautaire qui met en avant les connaissances et la passion des fans pour ce sport.
Un contenu qui se modernise autour des NFTs et transforme l'expérience utilisateur
La gamification s’est également développée autour du « trading » où la collection de cartes sous format NFT peut être utilisée à des fins spéculatives. C’est le cas par exemple sur la plateforme de la start-up française Sorare. Chaque « carte crypto » est associée à un token unique d’un joueur, ce qui en fait un actif financier à la fois identifiable et infalsifiable, permettant aux propriétaires de contrôler les joueurs et spéculer sur leurs valeurs à court, moyen et long terme. On peut maintenant acheter la carte unique de Kylian Mbappé pour 153 ETH et espérer la revendre à un prix supérieur (ou inférieur) en fonction de ses performances dans le monde réel et de l’évolution du prix de l’Ether. L’engouement est tel qu’avec plus de 1 million d’utilisateurs enregistrés et 270 000 actifs en 2021 et un volume de transactions de 325 millions de dollars en 2021, la start-up française fondée en 2018 a réalisé la plus grande levée de fond de l’histoire de la French Tech (un financement de 680 millions de dollars) pour ainsi devenir une licorne valorisée à plus de 4 milliards de dollars. Ceci n’est pas anodin et confirme la tendance d’un nouveau mode de consommation footballistique porté non plus sur les résultats sportifs mais également sur l’expérience usager.
Face à cette demande de plus en plus grandissante d’autres initiatives ont également vu le jour sur le « Web 3.0 ». En effet, la FIFA a récemment lancé sa plateforme FIFA + Collect qui propose aux fans du monde entier de collectionner les séquences les plus emblématiques de l’histoire de la Coupe du monde en format NFT. Du penalty mythique de Zidane en 2006 en passant par la main de Diego Maradona lors du quart de finale 1986 contre l’Angleterre et l’humiliation brésilienne lors de sa demi-finale face à l’Allemagne, les supporters pourront acheter leurs moments préférés via la plateforme dédiée en collaboration avec Algorand. De plus, certains clubs se sont dotés de leurs propres monnaies digitales, les « Fan Tokens » qui permettent aux fans qui en détiennent de bénéficier de droits de vote les autorisant à donner leur avis sur certaines initiatives et décision du club… Un mode de fonctionnement à l’image des actions d’entreprise qui permettent aux actionnaires de voter lors des assemblées générales.
Certes, le monde du football est en pleine transformation numérique avec pour mission de « changer la façon de vivre le sport » comme le rappelle Romy Gai, le Directeur des Affaires de la FIFA. Cependant, malgré les nombreuses opportunités qu’offre le numérique pour l’ensemble des parties prenantes de ce sport, le football tel que nous le connaissons est à la croisée de nombreux changements sociaux sur la façon dont il est maintenant consommé.
Le football, un sport à la croisée d'enjeux digitaux et sociaux
Face à la crise, rare sont ceux qui parviennent à se réinventer. Le football a fait preuve de résilience en utilisant le numérique comme moteur de croissance. Les acteurs du monde du football ont trouvé de nouvelles sources de revenus et les spectateurs ne sont plus des consommateurs de foot à proprement parler mais des consommateurs de contenus. Il ne suffit plus à un fan d’acheter un maillot de son équipe ou d’aller supporter les joueurs au stade pour participer à la vie économique d’un club. Les contenus se sont diversifiés, le sport s’est démocratisé en allant chercher de nouvelles cibles qui n’étaient pas forcément intéressées par le sport en lui-même mais qui se retrouve dans cette économie de contenus. Les produits numériques rendent le football plus accessible et répondent à la nouvelle tendance générationnelle des fans qui veulent des contenus attractifs tout en s’identifiant aux joueurs.
Cependant, cette tendance à un impact sur le sport en lui-même. On en vient à se demander si le football est aujourd’hui regardé pour le spectacle ou pour le gain qui est associé aux contenus footballistiques ? Les récentes controverses autour du football moderne notamment sur l’installation d’une Super League ou le passage de match à 70 minutes plutôt que de 90 minutes sont de parfaits exemples des limites de l’économie de contenus qui ne correspondent pas aux valeurs généralement associées au sport et, plus précisément, au football. Serait-ce les produits numériques qui sortiraient gagnant plutôt que le football en lui-même ? En effet, la numérisation des contenus footballistiques n’a pour l’instant que très peu d’impact sur la pratique réelle de ce sport avec un nombre de licenciés qui stage depuis 10 ans. La révolution numérique ne devrait-elle pas inciter les jeunes à s’inscrire et à jouer davantage au football plutôt que de le regarder ?
Le numérique est avant tout un outil qui doit servir l’ensemble des parties prenantes mais le football ne doit pas oublier sa fonction première… C'est un sport.